Bonjour, je ne sais si vous aviez déjà lu une histoire de Victor Hugo, mais voici en texte une séance de table tournante à Jersey. Bonne lecture.
Dès 1853, à Jersey, Victor Hugo s'était initié au spiritisme. Le poète croyait en effet aux esprits, personnels et agissants. Tout selon lui possédait un esprit, les astres, les rochers, les plantes, et l'imagination apparaissait à ses yeux comme un dévoilement de la réalité. Il fut définitivement convaincu de l'authenticité de ces manifestations lorsque l'esprit de sa fille Léopoldine, noyée accidentellement dix ans auparavant, lui apparut au cours d'une séance de table tournante. Ces « mystérieuses rencontres avec l'invraisemblable » se succédèrent lors de ces séances qui se déroulèrent durant plusieurs années. Les esprits convoqués étaient souvent illustres : Mahomet, Jésus-Christ, Marat et Molière.
VH = Victor Hugo & AV = André Vacquerie
Séance du mardi 13 septembre 1853 à 21h30. Présents : Victor Hugo, Mme Hugo, Mlle Adèle Hugo, Charles Hugo,
VH. — Les esprits auxquels tu t'adresses, est-ce nous ? — Non. VH. — Alors c'est nous qui sommes les voyants ? — Oui. VH. — Toi, nous vois-tu ? — Non. VH. — Les esprits que tu appelles ici ont-ils vécu de la vie des hommes ? (Pas de réponse.) VH. — Peux-tu répondre ? — Non. (Agitation de la table.) VH. — Puis-je te calmer ? — Non. VH. — Es-tu un esprit heureux ? — Le bonheur n'est qu'humain, il suppose le malheur. VH. — Tu parles ainsi parce que tu es dans l'absolu ? — Oui. VH, — Parle de toi-même. — L'infini, c'est le vide plein. VH. — Entends-tu par là que ce que nous appelons le vide est rempli par le monde des esprits ? — Parbleu ! VH. — Ombre du sépulcre, tu peux donc être gaie ? — Non. VH. — Parle. — Use ton corps à chercher ton âme. VH. — Es-tu seul des esprits ici ? — Je suis tout et je suis partout. VH. — Veux-tu que je continue à t'interroger ? — Oui. Tu as la clef d'une porte du fermé. VH. — Connais-tu la vision que j'ai eue hier ? — Je ne connais pas hier. VH. — Sommes-nous sûrs de te voir après la mort ? Tu n'as que des lunettes. (Téléki, fatigué, est remplacé à la table par le général Le Flô.) VH. - Si nous nous conduisons bien dans cette vie, pouvons-nous espérer une vie meilleure ? - Oui. VH. - Si nous nous conduisons mal, aurons-nous une vie plus douloureuse ? - Oui. VH. - Les âmes des morts sont-elles avec toi ? - Sous moi. VH. - Tu dis que tu es tout et partout, es-tu Dieu ? - Sur moi. VH. - Es-tu plus près des âmes que de Dieu ? - Il n'y a pour moi ni près ni loin. VH. - Dis-moi, les mondes autres que la terre sont-ils habités ? - Oui. VH. - Par des êtres comme nous, âme et corps ? - Les uns oui, les autres non. VH. - Après la mort, les âmes de ceux qui ont fait le bien sont-elles dans des espaces de lumière, ou vont-elles habiter d'autres globes ? - Allume. VH. - Est-ce toujours l'ombre du sépulcre qui est là ? - Non. (Charles est remplacé par Téléki.) VH. - Qui es-tu ? - Chateaubriand. VH. - Tu sais que nous t'aimons et que nous t'admirons ? - Oui. VH. - Tu es mon voisin à présent. Réponds. - La mer me parle de toi. VH. - Peux-tu nous parler du monde où tu es maintenant ? - Non. VH. - Es-tu heureux ? - Je vois. VH. - As-tu une communication à nous faire ? - Oui. VH. - Parle. - J'ai lu ton livre. VH. - Napoléon le Petit ? - Oui. VH. - Dis-nous ce que tu en penses. - Mes os ont remué. VH. - Parle. Tu sais que je lutterai jusqu'à la mort pour la liberté. - République. VH. - La République, c'est l'avenir, n'est-ce pas ? - Je ne vois que l'éternité. VH. - Es-tu toujours là. Chateaubriand ? - Non. VH. - Qui es-tu ? - Dante. VH. - Dante, tu sais que je t'aime et t'admire. Je suis heureux que tu sois ici. Parle. - L'exil vient au bord de la tombe. VH. - Me dis-tu cela parce que je suis près du tombeau de Chateaubriand ? - Comprends. VH. - Parle. - L'amour est. La haine n'est pas. VH. - Qu'est-ce qui t'amène ici ? - La patrie. VH. - Parle. - J'ai lu ma vision. VH. - En es-tu content ? - Béatrix chante, je l'écoute. VH. - Tu nous entends toujours ?(Immobilité de la table.) VH. - Est-ce toujours Dante ? - Non. VH. - Qui est là ? - Racine. VH. - Tu sais que je respecte les grands noms. Est-ce moi que tu viens voir ? - Non. VH. - Est-ce Auguste Vacquerie ? - Oui. AV. - As-tu une communication à me faire ? - Oui. AV. - Parle. - La gloire ment. AV. - Dis-tu cela pour toi ? - Oui. AV. - Tu trouves donc que j'ai eu raison de te contester ? - Oui. AV. - Tu reconnais que tu as fait des pièces étriquées ? - J'étais gêné. AV. - Est-ce un remords pour toi maintenant d'avoir laissé une réputation supérieure à ton œuvre ? - Ma perruque est roussie. AV. - Qu'est-ce qui l'a roussie ? - Le feu. AV. - Le feu de quoi ? - Du drame. AV. - Que penses-tu d'Athalie - Grands vers. AV. - Dans le monde où tu es, la littérature a-t-elle encore quelque importance ? - Elle est un écho.
La séance est finie à trois heures et demie du matin.)
Sources
Jules Bois, Miracle moderne, Paris, 1907. Bernard gros-retz, Le Visionnaire de Guernesey, Paris, 1976. Victor hugo, « Procès-verbaux des tables parlantes de Jersey ». Texte établi et commenté par Jean et Sheila gaudon, Œuvres complètes, tome IX, Club Français du Livre. Maurice levaillant, La Crise mystique de Victor Hugo, Paris, 1954. Denis saurat, Victor Hugo et les dieux du peuple, Paris, 1948. Gustave simon, Les Tables tournantes de Jersey, Paris, 1923..